Toute la vie propose au lecteur une suite de textes brefs, oscillant entre les genres du récit, de la nouvelle et des mémoires, et si la distinction des genres présents dans ce recueil n'est pas toujours nette, c'est que l'anecdote cède toujours le pas au ton qui l'exploite. Cette tonalité singulière s'avère ici toujours empreinte d'une lucidité déconcertante, d'une lucidité que le passage du temps aurait rendue sereine, capable de s'infiltrer dans la simplicité même du monde. Ainsi, il lui importe peu de s'engager en des descriptions psychologiques complexes ou de hautes considérations morales ; il suffit de regarder n'importe où pour que se dévoile l'essentiel : un manteau, un marchand de fruits deviennent prétextes à des propos très proches de l'aphorisme, comme dans cet extrait où le sort d'un arbre de son village natal maintenant abattu lui donne ceci à penser : « Quand la beauté est d'une espèce rare, elle est souvent méconnue, tandis que la laideur est presque toujours acceptée, car on a tous les jours des motifs de s'y habituer. » (Toute la vie, p. 36).

Cette tendance au sommaire, chaque fois que le regard se porte sur un individu ou un personnage, rend cependant toujours compte d'un aspect, dont on comprend rapidement qu'il rêvet pour Claire Martin une importance toute particulière : le sentiment amoureux, toujours sous ses formes les plus passionnées. Du simple regard qui aiguillonne (« Les oignons verts ») jusqu'à la mort de deux amants enlacés (« Toute la vie »), en passant par les circonstances exceptionnelles de certains mariages (« L'inattendu, toujours »), toujours les narrateurs de Toute la vie semblent soumis — et de bonne grâce ! — aux gestes que fait poser l'amour.

À travers cette préoccupation constante, fervente de l'amour, apportée dirait-on par la décantation de l'expérience, on en vient à songer que c'est peut-être uniquement ce sentiment qui nous fait accéder à toute la vie.